Le cinéma tragique de Sam Raimi

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Enregistré le : lun. 14 févr. 2022 - 11:22

Le cinéma tragique de Sam Raimi

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Quel est le point commun entre les trois chefs-d'oeuvre de Sam Raimi, par
ailleurs si différents : Un plan simple, film noir sorti en 1999, Spiderman, film grand
public sorti en 2000, et Jusqu'en enfer, film fantastique sorti en 2008 ? La référence
tragique : les trois films sont en effet inspirés de la tragédie et explorent des thèmes,
des personnages et des situations tragiques. Un plan simple raconte l'histoire de trois
amis qui après avoir trouvé une grosse somme d'argent appartenant à des bandits sont
entraînés dans une série de meurtres et finissent par s’entretuer.
Ce qui rend cette histoire tragique, par rapport à Petits meurtres entre amis de
Danny Boyle, qui a une intrigue similaire, est que les trois amis d'Un plan simple sont
frères : le héros Hank et son frère Jacob sont frères de sang, et Lou est le meilleur ami
de Jacob, qui le considère comme son frère. Donc le film montrera deux fratricides et
non deux meurtres. Le premier fratricide est symbolique : Jacob tue Lou pour
protéger son frère. Le second fratricide (entre les frères de sang), qui dénoue
l'histoire, est tragique en tant que tel, mais aussi par la complexité de la situation et le
fait qu'il est involontaire (Hank tue son frère malgré lui, par nécessité, pour prévenir
les soupçons de la police) : en effet le tragique en poésie ne désigne pas seulement
une fin malheureuse et sanglante, mais une fatalité issue d'une situation complexe
(par exemple, dans OEdipe Roi de Sophocle, le dénouement de l'histoire demande
plusieurs actes, tant les circonstances du meurtre de Laïos, le père d'OEdipe, sont
complexes).

Le tragique implique aussi un acte involontaire (qui suscite la pitié en atténuant
la responsabilité du héros), qui a une place originale dans Un plan simple : dans une
tragédie classique, l'acte involontaire est la faute involontaire commise par le héros
au début de l'histoire, tandis que dans Un plan simple la faute initiale (le vol de
l'argent) est volontaire, mais le dernier meurtre est involontaire : le héros est puni non
pas pour une faute involontaire, mais par un crime involontaire, en étant forcé de
commettre un fratricide. A la fin d'une tragédie classique, le héros se fait parfois du
mal volontairement pour se punir lui-même, comme Ajax qui se suicide sur son épée
ou OEdipe qui se crève les yeux, tandis que dans Un plan simple le héros est puni
malgré lui par son fratricide involontaire. Ces renversements rendent Un plan simple
encore plus tragique qu'une tragédie classique. La femme du héros d'Un plan simple a
aussi un caractère tragique en rappelant Lady Macbeth : sa cupidité et ses plans
diaboliques pour garder l'argent finissent à chaque fois en bain de sang.
Ce goût de Sam Raimi pour le tragique se retrouve dans Spiderman, au héros
oedipien : comme OEdipe, Peter Parker, alias Spiderman, est adopté (par son oncle et
sa tante), mais est surtout responsable de la mort de son père adoptif (son oncle), tué
par un voyou que Peter a laissé filer, donc il est coupable ou se sent coupable d'un
parricide. Sa culpabilité le transformera en justicier. Spider-Man a donc une
résonance tragique que n'ont pas les autres super-héros.

La culpabilité de Peter est renforcée par le parricide symbolique qu'il commit
le jour de la mort de son oncle : en se disputant avec son oncle, Peter en colère dit à
son oncle qu'il n'est pas son père et ne devrait donc pas agir comme tel en lui faisant
la morale. Il tue donc son père en refusant injustement le statut de père à son oncle.
On pourrait ajouter que Peter commet un troisième parricide quand son alter ego tue
Norman Osborn, le père de son meilleur ami, qui considérait Peter comme son fils.
La fin du film Spiderman est également tragique : d'abord, le meilleur ami de
Peter, Harry, qui considère Peter comme son frère, jure de tuer Spiderman, qu'il juge
responsable de la mort de son père, sans savoir que Peter et Spiderman ne font qu'un,
donc la guerre entre frères est déclarée ; ensuite, Peter repousse à contrecoeur Marie-
Jane, l'amour de sa vie, pour se consacrer à son alter ego, ce qui représentait un choix
cornélien. En embrassant Peter, Marie-Jane, qui a embrassé une fois Spiderman sans
voir son visage, reconnaît l'alter ego de Peter. Aristote dans sa Poétique dit que la
reconnaissance, en tant que procédé complexe et acte intellectuel, est la meilleure fin
qui soit. L'épilogue de Spiderman, en se terminant par une reconnaissance, fait donc
une ultime référence au théâtre.

Cependant, le film le plus tragique de Sam Raimi est Jusqu'en enfer, racontant
l'histoire d'une employée de banque, qui pour obtenir une promotion va refuser un
crédit à une pauvre Gitane, qui est une sorcière et va lui jeter un sort pour se venger.
La faute tragique y est parfaitement représentée : une faute mineure ou involontaire
(ici mineure) aux conséquences fatales. Le dénouement du film est également digne
d'une tragédie grecque : l'héroïne n'arrive pas à échapper au mauvais sort et est
emportée en enfer, rideau.

Sam Raimi termine de nouveau son film avec une reconnaissance : l'héroïne
reconnaît son bouton de manchette, porteur de la malédiction, dont elle croyait s'être
débarrassé et que son fiancé a récupéré sans savoir qu'il était enchanté et qu'il
redonne à sa fiancée en croyant lui faire plaisir... Le titre original du film : « Drag me
to hell », signifiant « traîne-moi jusqu'en enfer », exprime avec humour la résistance
de l'héroïne à son destin (on la voit effectivement se débattre pendant tout le film).
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